Mario Chichorro, peindre de l’utopie…

Par Jean-Luc Modat

Il est parti avec l’élégance discrète et pudique sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger. Pourtant, son œuvre de créations « Hors cadre » est immense. 3500 œuvres, plus d’une centaine d’expositions en France et dans le Monde, à son actif… Les plus grands collectionneurs et prestigieux musées mondiaux ont acquis ses tableaux. Exceptionnel Chichorro !

Mario Chichorro (Photo La Gazette Catalane)
Mario Chichorro (Photo Jean-Luc Modat)

Il était à la peinture contemporaine ce que le catalan Gaudi fut à l’architecture et au design. Ses facéties picturales, novatrices, déconstruites, fragmentées, pouvaient apparaître comme autant de pastiches des Arts : Brut, baroque, primaire, contemporain et Naïf…. Mario était assurément espiègle, un singulier personnage. Il ne se prenait vraiment pas au sérieux ! De son Portugal natal, il avait conservé son délicieux timbre chantant. Le regard tendre s’accommodait du petit sourire facétieux de celui qui avait su préserver l’émerveillement de l’enfance…

« Mon choix est sans réserve. Je suis pour l’irrévérence, l’insubordination, l’irréalisme, l’absurde, la rêverie, la folie, l’utopie, le désir. Je suis solidaire de ceux qui, par volonté ou par la « force des choses », s’installent dans le terroir sauvage et fertile de l’idéal et contribuent, selon leurs moyens, à la création nouvelle et tout autre. » M’a-t-il confiait.

« Le destin est imprévisible« 

Mario Chichorro(Photo 2 La Gazette Catalane )
Mario Chichorro (Photo Jean-Luc Modat)

Mario Chichorro était né en 1932 à Torrès Vedrasau Portugal. Il avait suivi des études à Coimbra et en architecture à l’Ecole Supérieure  des Beaux Arts de Porto pendant 2 ans. Mario avait rejoint la France en 1963 pour résider à Perpignan en Pays Catalan. Jusqu’en 1968 il avait été employé dans des cabinets d’architecture.« En 1968 dans les rues de Perpignan, je défilais et manifestais. Je travaillais alors dans un cabinet d’architecte. Mon patron l’ayant appris m’a illico licencié, me traitant de révolutionnaire, d’anarchiste. »Relatait-il, d’un sourire amusé le facétieux Mario. Le destin est imprévisible ! Ce fâcheux événement avait eu un effet bienheureux puisque Mario avait alors pu réaliser le rêve insensé de son enfance : peindre ! Est-ce bien raisonnable pour une grande personne ? Aujourd’hui encore, l’artiste se joue des interdits !  Il a osé partir, comme ça à l’improviste, rejoindre le Paradis de tous les peintres créateurs ! Chichorro laisse une œuvre considérable !

Artiste résolument baroque ?

« Mon choix est sans réserve. Je suis pour l’irrévérence, l’insubordination, l’irréalisme, l’absurde, la rêverie, la folie, l’utopie, le désir. Je suis solidaire de ceux qui, par volonté ou par la « force des choses », s’installent dans le terroir sauvage et fertile de l’idéal et contribuent, selon leurs moyens, à la création nouvelle et tout autre. » Ces propos qu’il tenait voilà plusieurs décennies résonnent encore aujourd’hui en pied de nez à toutes les convenances, la pensée unique, uniformisation humaine…

Mario Chichorro Elle est belle la partenaire de l'illusionniste

Hors normes, réfractaire à tout courant artistique, à toute mode, à toute académie, Mario Chichorro l’idéaliste, s’amusait à heurter, à provoquer, à renverser tabous et valeurs admises d’un Monde rationnel hyper formaté, normalisé, emprisonné dans la convenable pensée unique. Au bout du pinceau, il maniait avec talent, l’ironie, la provocation, la dérision. » Je casse de façon fantaisiste le sujet unique dans mes tableaux. J’opte pour la multiplicité des thèmes parce que j’ai choisi la liberté absolue de l’imaginaire irrationnel !» Évoquait le déroutant, Chichorro. Il usait de matériaux les plus inattendues : aggloméré de bois, polyuréthane extrudé, résine synthétique, aggloméré de liège…

L’intemporel

Ses œuvres subversives sont autant de passerelles relationnelles entre son fort intérieur et un extérieur idéal rêvé. Ses tableaux lumineux renvoient à l’intemporel. Sa puissante créativité intuitive, impulsive, jongle avec volumes et formes, couleurs et symboles. Là, rien n’est agressif. Ici, tout est équilibre. Ailleurs, la nudité corporelle semble célébrer la pureté morale sans artifices sans fioritures. Chichoro, lançait en boutade «Nul n’est là par hasard.» N’invitait-il pas à réfléchir sur le pourquoi de notre existence ?

Mario Chichorro La fleur de toutes les saisons.jpg

La fabuleuse légende de la barque enchantée

Auteur artiste créateur : Jean-Luc MODAT tous droits réservés 2024

En Zidro, un vieux pêcheur catalan d’anguilles conteur et poète à ses heures perdues, m’a conté hier matin une très ancienne histoire onirique. Elle m’a ému. Je vais tenter de vous la restituer, vous la livrer telle que je l’ai saisie.

L’extraordinaire histoire de la barque bleue L'anse de la Roquette étang de Salses photo © Jean-Luc Modat (lagazettecatalane.com)
L’anse de la Roquette étang de Salses photo © Jean-Luc Modat

Imaginez-vous, cher lecteur, assis peinard sur un tas de filets de pêche, prés de Zidro, ce vieux loup de mer au visage autant buriné par le soleil que par les stigmates du temps qui passe, vêtu d’une veste bleue usée et délavée, l’éternel béret vissé sur la tête… Plongé dans le silence des lieux, vous êtes à l’anse de la Roquette au lieu-dit « les barracas des pêcheurs » face à l’étang de Salses, à l’écart de tous sentiers battus… Un exquis moment complice, hors le temps…

« Approche-toi davantage, Nin, pour ne pas en perdre une miette! » M’invita-t-il de sa voix rocailleuse. Il planta son regard franc droit dans mes yeux pour s’assurer de mon écoute… Puis Zidro, débuta ainsi son histoire ainsi : « Depuis de longues semaines Désiré n’avait pêché le moindre petit fretin… Les filets de son trabaccou restaient désespérément vides ! Ce matin-là, debout sur son cassou (barque catalane à fond plat), le pêcheur plantait puis poussait sa fica (une longue perche de bois ) pour faire glisser sa barque jusqu’à son postre (son lieu de pêche) où il avait calé la veille. Désiré hala les cordes du filet… Il ressentit aussitôt une forte résistance. « Si enfin, la chance me souriait ? » Se dit-il.

L'anse de la Roquette étang de Salses photo  © Jean-Luc Modat (lagazettecatalane.com)
Barraca d’en Janot L’anse de la Roquette étang Salses photo © Jean-Luc Modat

C’est alors qu’apparut l’énorme tête d’un mérou. Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre aussitôt ce poisson le supplier : »Relâche-moi et toute ta vie tu en seras récompensé. « A ces mots, le pêcheur paniqua. « Un poisson qui parle, c’est sorcellerie ! » Se dit-il. « Tu ne le regretteras pas » Insista le mérou. Est-ce par crainte du malin, sans même réfléchir, Désiré s’exécuta et rejeta le poisson à l’eau.  » C’est étrange ! Les mérous ne fréquentent pas les eaux peu profondes des étangs… » Cette évocation le fit tressaillir.

L'anse de la Roquette étang de Salses photo © Jean-Luc Modat (lagazettecatalane.com)
L’anse de la Roquette étang de Salses photo © Jean-Luc Modat

Depuis lors, Zidro n’est jamais rentré bredouille de la pêche ! Même par temps peu cléments, il revenait la barque bleue chargée à ras bords. C’était une chose bien étrange comme si cette barque bleue était douée de vie, d’intuition. Elle le dirigeait toujours jusqu’aux zones poissonneuses. Le pêcheur se doutait bien que ce n’était pas juste le fruit du hasard. Ce brave mérou avait tenu parole ! Toute son existence Zidro réalisa de belles pêches. Il conserva son secret jusqu’à son dernier souffle pour réserver ses ultimes instants de vie à me confier cette belle histoire, à moi, Jeannot, son fils. Zidro consacra toute sa vie, son énergie à convaincre ses amis Mariners i pescaires d’épargner les placides mérous des côtes catalanes.

Créations © Jean-Luc Modat Auteur – illustrations- photos 2024